K (Dino Buzzati)

 

Rien n’est « banal » dans un rêve.

Comme un rêve n’a pas nos catégories mentales, il faut accepter son originalité. En tout premier, accepter qu’il ne peut être réduit à un bric-à-brac de symboles obligatoires qui laisse perdu le rêveur avec son problème. Au-delà des catégories de symboles dont Internet raffole, il suffit de demander à quoi le rêveur associe tel ou tel objet « banal » dans son rêve pour voir d’abord combien son image est loin de la mienne propre (sic !) et combien elle est loin de ce que raconte Internet. Prudence donc !

Ensuite, on peut expérimenter que l’association que le rêveur a fait est adéquate si la solution qu’elle suggère est réitérée dans la suite du rêve ou dans un rêve d’une nuit proche. La mise en mots « raisonnables » par l’interprète est alors avérée. Si ce n’est pas encore ça, c’est que cet objet est un archétype plus profond.

 

Rien n’est « ridicule » dans un rêve.

S’il y a des scènes sexuelles, les écouter avec sérieux et sans aucun commentaire. De toute façon, la signification dépasse largement l’image produite pour une rectification vers un sens de vie nécessaire au rêveur. Pour un ado qui se croit LGBT, sa croyance est bien souvent une demande de l’inconscient d'apprendre à se connaitre : tout ce qui est femme en chacun, tout ce qui est homme en chacun, tout ce qui est spirituel en chacun, tout ce qui est animal en chacun etc.

 

Rien n’est « quelconque » dans un rêve.

Même un rêve d’une ligne...

Donald Trump est assassiné. Mais ça n’affole personne.

Que représente Trump pour le rêveur ? Peut-être que ce qu’il représente est en train de mourir dans le rêveur et que l’inconscient confirme que c’est une bonne chose ?

 

Rien n’est « dramatique » dans un rêve.

Il s’agit d’une transformation nécessaire du rêveur qui se met en œuvre. Par exemple chez les plus jeunes, le rêve se servira de ce qu’il a à sa disposition, c’est-à-dire les images terrifiantes des séries américaines que le rêveur regarde ! Qu’il en soit ainsi... Ce qui est intéressant ici est que ces séries sont souvent comme des productions d’images inconscientes car n’existant pas dans la réalité. Elles sont positives parce qu’elle déplace le mental du rêveur et l’appelle à écouter une partie délaissée de lui-même.

Cependant – et c’est un tout autre problème - , ces images numériques ont un danger interne : si elles ne sont pas travaillées, elles laissent le spectateur des séries dans un état inconscient sans lien avec la conscience. D’où la violence qui se produit entre jeunes. D’où la nécessité absolue de travailler sur soi. 

 

Rien n’est « inutile » dans un rêve.

Dino Buzzati a écrit une nouvelle : « Le K », il colombre  en italien.

Pour la première fois, un enfant est amené par son père sur son bateau. Soudain à l’arrière, l’enfant voit une masse noire émerger plus ou moins de l’eau, sorte de monstre marin qui suit le bateau. C’est le K. Le père sait que c’est pour suivre l’enfant et que c’est dangereux. Il  le ramène au port. Il envoie l’enfant étudier dans une autre contrée, il réussit sa vie, il gagne plein d’argent. Mais celui qui est adulte maintenant reste cependant agité car il est hanté encore et toujours du K.

Au soir de sa vie, il n’en peut plus et se met à naviguer. Il fait nuit : « Il m’a escorté d’un bout à l’autre du monde avec une fidélité que même le plus noble ami n’aurait pas témoignée. Maintenant je suis sur le point de mourir. Lui aussi doit être terriblement vieux et fatigué. Je ne peux pas tromper son attente ». Il fit descendre une chaloupe à la mer et s’y installa après s’être fait remettre un harpon. « Maintenant, je vais aller à sa rencontre. Il est juste que je ne le déçoive pas. Mais je lutterai de toutes mes dernières forces ».

À coups de rames il s’éloigna. Au ciel il y avait un croissant de lune.

Il n’eut pas à ramer longtemps. Tout à coup le mufle hideux du K émergea contre la barque. « Bouhouhou ! mugit d’une voix suppliante le K. Quel long chemin j’ai dû parcourir pour te trouver ! Moi aussi je suis recru de fatigue... Ce que tu as pu me faire nager ! Et toi qui fuyais, fuyais... dire que tu n’as jamais rien compris !

— Compris quoi ? fit Stefano piqué.

— Compris que je ne te pourchassais pas autour de la terre pour te dévorer comme tu le pensais. Le roi des mers m’avait seulement chargé de te remettre ceci ».

Et le squale tira la langue, présentant au vieux marin une petite sphère phosphorescente.

Stefano la prit entre ses doigts et l’examina. C’était une perle d’une taille phénoménale. Et il reconnut alors la fameuse Perle de la Mer qui donne à celui qui la possède fortune, puissance, amour, et paix de l’âme. Mais il était trop tard désormais.

« Hélas ! dit-il en hochant la tête tristement. Quelle pitié ! J’ai seulement réussi à gâcher mon existence et la tienne... »

 

Ceci est un raccourci indécent de cette nouvelle de Dino Buzzati mais où l’on a le temps de voir la présence de ce qui nous est inconscient par derrière nous, donc à l’arrière du bateau. Dans le poème « le Roi des aulnes » de Goethe, cet inconscient est à l’arrière de l’enfant mais cela se terminera par sa mort. La mer est évidemment tout ce qui est dessous, toutes les énergies inconnues par  notre petit moi « au soleil ». La lune est là comme une lumière dans les ténèbres qui guide celui qui veut savoir. Le K émerge : bien sûr, il est laid parce qu’on ne l’a jamais caressé, aimé, considéré. La beauté est amour. Et pourtant ce squale lui a été fidèle jusqu’à la mort. Buzzati nous avertit de la perle possible en tant que point central autour duquel s’enroule la nacre : le centre et la sphère. Enjeu de notre travail intérieur entre le centre et la périphérie. Un trésor que jamais l’on ne veut plus jamais perdre.

Mais la découverte a été un peu tardive pour notre héros. Je vous en laisse lire la fin.

Comprenne qui voudra ! 

                                                                                    Gaël de Kerret 

                                                                                        avril 2021